La « dette originelle »
Les sociologues et les psychologues parlent d’une « dette originelle », et de son corollaire, la culpabilité, qui dure toute la vie et nous enchaîne à celle qui nous l’a donnée. Et puis l’espoir, enfoui, mais tenace, que les choses finiront par changer : « La part raisonnable de mon être sait qu’elle ne bougera jamais, avoue Virginie, et, en même temps, il y a toujours cette envie au fond de moi que tout s’arrange un jour. »
Marie, 60 ans, a perdu un enfant à la naissance : « J’ai pensé que cette fois, j’allais enfin avoir droit à la parole. Mais non, pour ma mère, la disparition de ce bébé n’était pas si grave que ça, puisque je ne l’avais même pas vu ! A partir de là, j’ai fait des insomnies terribles. Pendant des années. Jusqu’au jour où mon psy m’a fait comprendre que je n’aimais pas ma mère et que j’en avais le droit. Depuis, je dors. »
Nous en avons le droit, mais nous n’osons pas en user… « On a tous en nous la nostalgie du bon parent, avance Alain Braconnier, on ne pense jamais avoir été aimé exactement comme on le voulait. Quand l’histoire est douloureuse, c’est encore plus compliqué. On ne parvient pas à quitter sa mère quand elle nous a trop aimé, comme quand elle ne nous a pas assez aimé. »
Seule la mère « suffisamment bonne », selon l’expression du psychanalyste et pédiatre anglais Donald Winnicott (La Mère suffisamment bonne - Payot, “Petite Bibliothèque”, 2006), nous permet d’acquérir sereinement l’autonomie de l’adulte : celle qui, en satisfaisant nos désirs, nous apprend que la vie vaut la peine d’être vécue ; la même qui, en en frustrant certains, nous dit aussi qu’il faudra conquérir seul cette autonomie.
La peur d’être comme elle
Idées clefs- Un tabou. L’idée d’une mère « non aimable » et « non aimée » est insoutenable en soi.
- Un sentiment complexe. Et pourtant, certaines mères sont « mal-aimantes », voire « malfaisantes ».
- Un équilibre à trouver. S’il est trop difficile de la rejeter, il faut tenter de s’en protéger par une prise de distance.
- Un sentiment complexe. Et pourtant, certaines mères sont « mal-aimantes », voire « malfaisantes ».
- Un équilibre à trouver. S’il est trop difficile de la rejeter, il faut tenter de s’en protéger par une prise de distance.
Devenues mamans à leur tour, Virginie et Marie ont gardé le lien pour leurs enfants, avec l’espoir que leur « mauvaise » mère devienne au moins une « bonne » grand-mère. A la naissance de son premier enfant, Virginie a visionné des vidéos tournées par son père quand elle était petite. Elle y a vu une femme qui riait, et une petite fille choyée. « Ça m’a fait du bien, se souvient-elle. En fait, elle a disjoncté quand j’étais adolescente, mais avant, elle avait l’air heureuse de m’avoir. C’est sans doute grâce à ces premières années que j’ai pu être une bonne mère. Mais quand je la vois s’énerver contre mes enfants, je suis bouleversée, parce que je reprends conscience de ce qu’elle est devenue. »
Comme Virginie, Marie a pris sa mère comme antimodèle pour tisser le lien avec ses enfants. Et cela a fonctionné : « A la fin d’une longue conversation téléphonique, ma fille m’a dit : “Ça fait du bien de parler avec toi.” J’ai raccroché, et j’ai éclaté en sanglots. J’étais fière d’avoir corrigé le tir, d’avoir réussi à construire une belle relation avec mes enfants, et, en même temps, je réalisais ce que je n’avais jamais eu. »
L’échec originel de l’amour maternel a été en partie compensé par quelqu’un qui a communiqué à ces femmes l’envie d’avoir un enfant, leur a livré les clés pour l’élever, l’aimer et en être aimées : grâce à ces « tuteurs de la résilience », selon l’expression du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, ou ces « artisans de la bien-traitance », pour Danielle Rapoport, ces enfances cabossées peuvent donner des mères réparées.
http://fome-famille.blogspot.com/2014/05/enquete-est-on-oblige-daimer-sa-mere_18.html
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