Nous avons beau lui en vouloir, la détester parfois, jamais nous ne nous autorisons à dire : « Je ne l’aime pas. » Notre mère reste une icône intouchable, sacrée. Décryptage du plus ambivalent des sentiments.
Alain Braconnier est l'auteur de Les Filles et les Pères (à paraître le 1er février chez Odile Jacob) et de Mère et Fils (Odile Jacob, 2005)
Une obligation sociale
« Je n’aime pas ma mère. » Très peu d’entre nous peuvent le dire. Les mots sont trop violents, le tabou encore trop fort. « Nous entretenons elle et moi un rapport de politesse, une apparence de relation normale, confie Virginie, 35 ans, réalisatrice de documentaires. Disons que je m’entends avec elle, sans qualificatif. » Tout aussi pudique, Ricardo, 37 ans, architecte, considère qu’il entretient un rapport « cordial » avec la sienne, « mais sans complicité aucune ».
« Une mère, ça reste socialement sacré, assure la sociologue Christine Castelain-Meunier. Entre l’éclatement des cellules familiales, les identités sexuelles et parentales qui se brouillent, nous vivons une période charnière. En pleine perte de repères, on se crispe sur du connu, des choses solides qui ont fait leurs preuves : l’image de la mère traditionnelle est devenue plus intouchable que jamais. » L’idée même est insoutenable : « Se dire que l’on a une mauvaise mère, ça peut détruire, affirme le psychanalyste Alain Braconnier. Vous imaginez, elle vous a donné la vie, elle aurait donc le pouvoir de vous donner la mort… C’est le mythe de Médée, l’infanticide. »
Le thérapeute observe au passage que, dans la plupart des contes de fées, la méchante, c’est toujours la belle-mère : « On a opéré un déplacement nécessaire à l’expression du ressenti. Cela montre combien il est difficile de manifester des sentiments négatifs à l’encontre de sa mère, mais également à quel point ils existent. On reste dans l’ambivalence permanente. »
Une relation fusionnelle
« Quand l’enfant est tout petit, sa maman est un être idéal, capable de subvenir à tous ses besoins, rappelle la psychologue Danielle Rapoport, auteure de La Bien-Traitance envers l’enfant (lire plus bas). Lorsqu’il se rend compte qu’elle est imparfaite, le choc est brutal. Plus la relation est mauvaise, plus l’impact est violent, et génère parfois un ressentiment profond qui confine à la haine. »
Nous avons tous connu ces moments de violente colère contre elle, parce qu’elle n’a pas satisfait un désir, parce qu’elle nous a déçus ou blessés. Nous nous sommes tous dit, en serrant les poings très fort : « Je la déteste. » C’est même un passage obligé : « Ces moments d’hostilité font partie du développement de l’enfant, explique Alain Braconnier. Tout va bien s’ils sont ponctuels. En revanche, s’ils s’installent dans la durée, c’est plus problématique. C’est souvent le cas avec les enfants de mères narcissiques, dépressives, trop exigeantes ou abandonniques. »
Dans cette relation fusionnelle par nature, la violence des sentiments est également proportionnelle à l’intensité de la fusion. Les enfants uniques ou élevés par une femme seule ont plus de difficultés que les autres à admettre qu’ils n’aiment pas leur mère. C’est le cas de Romain, 30 ans, journaliste, qui vivait seul avec sa mère dans une interdépendance totale : « J’étais sa raison de vivre. C’était une place privilégiée, certes, mais c’était trop lourd à porter. J’ai eu un mal fou à rencontrer quelqu’un. En l’occurrence, un garçon, c’était la seule solution.
Avec une fille, la concurrence aurait été trop rude ! » Aujourd’hui, les liens sont encore très forts : « Je ne supporte pas d’être loin d’elle, j’habite juste à côté… En même temps, je sais très bien que cette relation me prive d’une vraie liberté. »
Ils sont très peu à couper réellement les ponts avec leur génitrice. Ils refusent de lui en vouloir, tentent de la comprendre, lui trouvent des excuses : une enfance difficile, un environnement pesant, un mari absent. Tous font « comme si ». Comme si tout allait bien, surtout, ne pas en parler, « pour éviter le conflit qui me mènerait à un point de non-retour », remarque Romain. Ils maintiennent le lien, quoi qu’il en coûte. « Je la vois par devoir, regrette Anna, 26 ans, paysagiste. Je sais qu’elle m’aime, et je ne veux pas lui faire de mal. »
http://fome-famille.blogspot.com/2014/05/enquete-est-on-oblige-daimer-sa-mere.html
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